Catégorie Roman

ONI : L'anomalie de la mer Baltique

Prologue

Juin 2011

Erik, le technicien du Discoverer , fit brusquement irruption dans la cabine du capitaine en tendant devant lui la photographie d’un étrange objet que la sonde venait de détecter au fond de la mer Baltique.

- Vous devez jeter un coup d’œil là-dessus, se contenta-t-il de dire, d’une voix excitée.

- Qu’est-ce que c’est ? lui demanda Yorgi, intrigué par la large tache que lui dévoilait la photographie et qui venait assombrir le fond marin.

- Je ne sais pas précisément ce que c’est, mais une chose est certaine, c’est une très grosse épave, dit-il.

- Tu crois qu’il pourrait s’agir d’un avion ? demanda Yorgi, en lui rendant l’image de mauvaise qualité.

Ils remontèrent sur le pont et Yorgi, le capitaine du bateau, ordonna à son second de faire demi-tour.

- Qu’est-ce qui se passe ? demanda ce dernier en les rejoignant.

- Nous devons revenir sur nos pas pour faire une petite vérification, dit Yorgi. Erik a peut-être découvert quelque chose.

Le Discoverer était un bateau d’exploration marine de quinze mètres, transportant à son bord neuf membres d’équipage, tous Suédois, qui sillonnait la mer Baltique à la recherche d’épaves englouties. La chance leur avait souri au cours de cette sortie qui avait duré plusieurs jours. Ils avaient récupéré une cargaison volumineuse de caisses entières de vins fins, au millésime datant d’avant la Première Guerre mondiale. Leur spécialiste avait évalué leur récolte à plus de deux millions de couronnes suédoises .

- Je ne suis pas certain qu’il soit bien sage de revenir en arrière, lui dit Hans, son second.

L’équipage était épuisé et les stocks de nourritures et les réserves d’essence étaient presque vides. Yorgi Andreov avait alors ordonné un retour en ligne directe pour Stockholm, leur port d’amarrage. Mais, suite aux photographies remises par le technicien de bord, Yorgi avait vérifié les coordonnées transmises par Erik et calculé que l’épave était à moins d’un kilomètre nautique de leur position actuelle.

- On y va, ordonna Yorgi. Nous effectuons seulement quelques vérifications pour l’instant. S’il y a quelque chose d’exploitable, nous reviendrons un autre jour pour faire le travail.

Yorgi Andreov était un employeur juste et intègre. Il prenait soin des hommes qui travaillaient pour lui et c’était la raison qui expliquait pourquoi plusieurs d’entre eux étaient avec lui depuis ses débuts. Chacun des membres de l’équipage recevait un bonus substantiel lorsqu’ils trouvaient des cargaisons avantageuses, comme c’était le cas lors de cette longue expédition.

Dans la jeune quarantaine, Yorgi Andreov avait acquis son bateau avant qu’il ait atteint les trente ans, après qu’il eut découvert accidentellement une vieille épave au large des côtes suédoises, près de la frontière finlandaise qui bordait l’archipel d’Åland. Depuis cette époque, il arpentait la mer Baltique, à l’affût d’un des innombrables navires ensevelis sous cet océan tumultueux. Il connaissait bien les caprices de ces eaux imprévisibles et avait toujours navigué avec prudence et discernement.

Quand ils eurent atteint les coordonnées indiquées par le technicien, Yorgi fit descendre la sonde. Ils avaient à peine fait une trentaine de mètres qu’elle cessa d’émettre. Presque aussitôt, tous les appareils électroniques du bateau cessèrent aussi de fonctionner.

- Qu’est-ce qui se passe ? interrogea Yorgi en voyant Erik, son technicien, penché sur l’équipement pour vérifier les connexions.

- Je n’en ai aucune idée, lui répondit Erik.

Hans, qui s’inquiétait de la situation, avait eu le réflexe de démarrer les machines afin de s’assurer de leur bon fonctionnement.

- Le moteur marche normalement, cria-t-il à Yorgi.

- Rentrons, ordonna Yorgi. Et longe les côtes dès que possible, on ne sait jamais.

Quelques kilomètres plus loin, tous les appareils électroniques se mirent à fonctionner de nouveau. Ils regagnèrent Stockholm sans autre incident.

* * *

Le jour suivant leur arrivée à Stockholm, Erik, le technicien du Discoverer, était déjà à l’intérieur du bateau quand Yorgi arriva à son bord. Le jeune homme avait étalé, sur sa table de travail, toutes les images exploitables prises par la sonde, juste avant de s’endormir, la tête appuyée sur ses bras repliés, ne laissant paraitre que ses longs cheveux bruns. Sans faire de bruit, Yorgi remonta à la cabine de pilotage pour effectuer une inspection complète de l’équipement électronique du bâtiment.

Une heure plus tard, ce fut au tour de Hans, le second du capitaine, de monter à bord. Malgré la température agréable de ce début de juin, il portait son éternel bonnet de laine qui ne le quittait pratiquement jamais. Il se rendit directement à la cabine de pilotage où se trouvait déjà Yorgi. Ensemble, ils firent une seconde inspection de l’équipement électronique, sans découvrir la raison du dysfonctionnement de la veille.

Les deux hommes discutaient avec animation de l’étrangeté de la panne, quand Frederik et Jehan, les deux plongeurs, arrivèrent en même temps.

- Je ne pensais pas vous voir ici aujourd’hui, leur dit Yorgi en les voyant monter à bord.

- Nous voulions faire une vérification complète de nos équipements de plongée, dit Jehan, le plus jeune des membres de l’équipage.

Quand ils redescendirent tous en cabine, Erik était réveillé et examinait les photos qui étaient étalées devant lui.

- Bonjour, lui dit Yorgi.

- Désolé de m’être endormi, dit Erik, un peu confus.

- À quelle heure es-tu monté à bord ? demanda Hans.

Erik regarda sa montre; il était passé onze heures du matin.

- Je ne sais pas exactement, dit-il. Je n’arrivais pas à dormir la nuit dernière. Ces images m’obsédaient, alors je suis venu pour examiner les photos et j’en ai profité pour faire une vérification de l’équipement électronique.

Hans et Yorgi se mirent à rire. Tous les membres de l’équipage présents avaient eu la même idée. L’événement étrange qui s’était passé la veille les obsédait et ils avaient tous voulu s’assurer que tout fonctionnait normalement. Personne n’arrivait à trouver une explication à cette panne générale.

Ils se penchèrent tous sur les images fournies par la sonde. Nul ne pensait à rentrer chez lui. Cet objet, qui animait leur imagination de manière exponentielle, pourrait peut-être rapporter fortune et gloire.

- Cela n’a rien à voir avec un navire ou un avion, constata Yorgi.

- C’est pratiquement un rond parfait, dit Hans. Et c’est beaucoup plus gros que tout ce que nous n’avons jamais trouvé.

- D’après mes estimations, ça doit faire près de soixante mètres de diamètre, dit Erik.

Ils relevèrent tous la tête et Erik les regarda tour à tour, confirmant ce qu’il venait de dire.

- Est-ce que quelqu’un pense à la même chose que moi ? demanda Frederik.

Personne ne répondit à la question. L’idée d’un vaisseau extraterrestre les avait bien sûr tous effleurés, mais aucun d’eux n’osait le dire à voix haute. Ils reportèrent leur regard sur les photographies, essayant de deviner ce qui se trouvait sous leurs yeux.

- Je ne peux pas croire que l’idée d’une soucoupe volante n’ait effleuré personne, répéta Frederick, cherchant la confirmation chez l’un de ses collègues.

- C’est certain que cette idée nous a tous traversé l’esprit, avoua le capitaine. Mais n’est-ce pas un peu simpliste ?

- C’est exact, renchérit Hans. À moins qu’il ne se soit abimé au fond de la mer que récemment. Je ne peux pas croire qu’au nombre de bateaux qui naviguent sur ces eaux, personne n’ait détecté quelque chose d’aussi gros.

Les paroles de Hans faisaient son chemin dans l’esprit analytique d’Erik. C’était par un pur hasard qu’il avait lancé la sonde, la veille. La profondeur du fond marin était beaucoup trop importante dans cette partie de la mer pour de l’exploration sous-marine sécuritaire. Il ne se souvenait pas d’avoir eu une raison logique de lancer cette recherche. En réalité, il ne l’avait fait que par ennui et désœuvrement.

- Je n’ai jamais rien vu de pareil au cours de toute ma carrière, dit Yorgi, sortant Erik de sa rêverie. La dimension de cette chose dépasse de beaucoup les plus grosses épaves jamais mises à jour dans tous nos océans.

- Et si ce n’était qu’une déformation du sol ? suggéra Jehan.

- Voilà une idée encore plus simpliste que celle de la soucoupe volante, dit Frederik.

Ils discutèrent ainsi durant près d’une heure. Ils élaboraient différentes possibilités sur le sujet et détaillaient certaines d’entre elles, mais personne n’arrivait à trouver un consensus.

- J’ai un ami qui travaille au centre de recherche océanographique, dit Erik. Peut-être pourrait-il nous éclairer sur ce que ça pourrait être !

Ce n’était pas dans les habitudes des chasseurs de trésors de partager ce genre d’informations en dehors de leur cercle, mais la nature de l’objet était tellement extraordinaire qu’elle nécessitait des mesures exceptionnelles.

* * *

La mer était calme et le Discoverer jeta son ancre en plein cœur du golfe de Botnie par une belle journée de début d’automne. L’été avait été fructueux pour les chasseurs d’épaves. Ils avaient découvert deux nouveaux bateaux engloutis, qui leur avaient rapporté une véritable petite fortune.

Aujourd’hui, cette expédition n’avait pour but que de satisfaire leur curiosité. Le professeur Andersson, qui travaillait pour le centre océanographique, leur était revenu il y avait plus d’un mois sur les photos qu’Erik lui avait fait parvenir. Il n’avait pu leur fournir la moindre réponse satisfaisante. Il leur avait proposé de soumettre les photographies de l’objet inconnu à un géologue de sa connaissance, spécialisé en géologie sous-marine.

À partir de cet instant, les images récupérées par le Discoverer furent envoyées à plusieurs spécialistes et se retrouvèrent, personne ne sut exactement comment, entre les mains d’un journaliste suédois. Les photographies firent rapidement le tour du monde et plusieurs tabloïds proclamaient qu’un OVNI avait été découvert dans les profondeurs de la mer Baltique. On comparait l’objet insolite au très connu Faucon Millenium, le vaisseau piloté par Han Solo dans le film Stars Wars . Plusieurs curieux étaient entrés en contact avec l’équipage du Discoverer pour en savoir plus sur l’endroit où avait été découvert le soi-disant OVNI, mais aucun des membres de l’équipage ne divulgua la position, même approximative, de l’anomalie.

La semaine suivant tout le battage médiatique, un éminent géologue avait donné une entrevue à la télévision nationale. Il proclamait, à tous ceux qui voulaient l’entendre, qu’il ne s’agissait aucunement d’un vaisseau extraterrestre, mais bien du résultat d’éruptions sous-marines, comme il s’en produisait souvent dans tous les océans. C’était ce qui aurait créé, selon lui, ce grand cratère de plus de cinquante mètres de diamètre.

Les membres de l’équipage, et plus particulièrement Erik, endossaient difficilement cette histoire d’éruptions. Ils avaient sondé si souvent le fond de la mer que, si la solution avait été aussi simple, ils auraient déjà trouvé des images similaires, même si elles avaient été plus petites.

Il n’y avait pas plus de dix minutes qu’ils avaient jeté l’ancre que tous les appareils électroniques à bord cessèrent de fonctionner, soulevant la consternation générale.

- C’est comme la dernière fois, dit Hans à Yorgi.

- Remontez l’ancre et éloignons-nous de l’objet pour voir ce que ça donne.

Hans dirigea le bateau à un peu moins d’un kilomètre de leur position avant que tous les appareils fonctionnent de nouveau correctement. Ils n’avaient plus aucun doute, il y avait quelque chose sous la mer qui interférait avec l’équipement électronique.

- Tu crois que c’est l’objet qui émet un champ magnétique ? demanda Hans.

- Si ce n’est pas cela, alors quelqu’un s’est donné beaucoup de mal pour que cette chose ne soit pas découverte, répondit Yorgi.

Ils jetèrent l’ancre sur cette nouvelle position. Erik aidait les autres membres de l’équipage à préparer la mise à l’eau du ROV . Ils espéraient tous rapporter des images plus détaillées de l’objet. Erik s’était empressé de retrouver son poste, derrière le moniteur du ROV, prêt à découvrir ce qu’ils appelaient communément l’anomalie.

- Tu veux prendre les commandes ? demanda Peter en pénétrant dans l’étroit cagibi qui contenait le matériel informatique.

Peter était le dernier membre de l’équipage à avoir été inclus dans l’équipe de l’Ocean-Team. C’était Frederik qui l’avait présenté à Yorgi. Peter était un excellent opérateur de drone et, bien qu’il n’ait jamais piloté d’engins sous-marins, il avait rapidement prouvé son aisance à manipuler les contrôles à distance du ROV. Il était un homme très organisé et n’acceptait pas que les autres membres de l’équipe s’installent à la console de ce qu’il considérait maintenant être son appareil.

- Excuse-moi, Peter, dit Erik. J’ai seulement hâte de voir ce que les images vont nous dévoiler.

Erik roula sa chaise un peu à l’écart, laissant la place à Peter qui s’installa sur un petit tabouret. Il ne se passa pas dix minutes avant que l’étroit local ne soit envahi par la presque totalité de l’équipage. Les derniers arrivés durent s’entasser dans l’encadrement de la porte, pour voir apparaitre les images tant attendues.

Erik retenait son souffle depuis que le ROV avait atteint le fond. Peter manipulait consciencieusement la télécommande de l’appareil en suivant sa progression à l’écran, appelant au silence ses compagnons trop souvent exubérants. L’équipage au complet se trouvait là, leurs neuf paires d’yeux braqués sur le terminal.

L’appareil n’avait pas fait plus de deux cents mètres que l’image disparut des écrans.

- Nooon ! s’écria Peter, en essayant d’activer les commandes à distance.

La déception s’entendit dans un profond soupir collectif. Ils avaient espéré que le ROV parviendrait à leur transmettre des images de l’objet, mais aucun d’eux n’avait pensé aux pannes électroniques qui survenaient immanquablement lorsqu’on approchait de l’anomalie.

- Remontez le ROV, dit Erik, visiblement déçu.

- Nous l’avons perdu, dit Peter. Je n’arrive plus à communiquer avec l’appareil.

Frederick se fraya un chemin jusqu’à la porte, se contorsionnant à travers les autres membres de l’équipage qui restaient figés dans un silence désespéré.

- Nous devons récupérer mon appareil, se plaignit Peter.

- J’y vais, dit Frederick en passant la porte.

- Tu vas où ? demanda Yorgi.

- Je vais plonger, dit-il en disparaissant dans le couloir.

Ils le regardèrent, étonnés. La plongée, à cette profondeur, n’était pas sans danger et Yorgi n’était pas certain que ce soit une bonne idée de risquer la vie de ses plongeurs uniquement pour récupérer le ROV ou encore, pour satisfaire leur curiosité.

- Je crois plutôt que nous devrions refiler le bébé à l’armée, dit Yorgi. Il ne sert à rien de tenter la chance inutilement.

- Nous serons prudents, dit Jehan, bien décidé à accompagner son collègue.

Frederik lui sourit. Il n’avait pas voulu l’engager dans cette aventure, mais il était heureux de l’entendre se proposer.

- Allez, viens ! Allons préparer notre équipement, lui dit-il.

* * *

Yorgi et ses hommes suivaient l’avancée des plongeurs grâce aux images transmises par leur caméra. Ils avaient déjà atteint une profondeur de plus de soixante mètres et avaient troqué leur bouteille d’oxygène pour celle contenant le mélange de trimix nécessaire à la plongée à cette profondeur. La visibilité était réduite à seulement quelques mètres de distance. À bord, l’équipage regardait les images transmises, jusqu’à ce que l’écran devienne entièrement noir.

- Je n’aime pas ça ! Je n’aime pas ça du tout, dit Yorgi.

- Nous savions que ça arriverait, dit Hans pour le rassurer.

- Je n’aime quand même pas ça, ajouta Yorgi, avant de retourner sur le pont.

Les minutes semblaient durer une éternité et seul Erik était resté dans la cabine, regardant régulièrement les écrans toujours noirs alors que les autres essayaient de s’occuper comme ils pouvaient.

Il se passa plus de trente-cinq minutes avant qu’Erik ne vienne les avertir que les caméras avaient recommencé à fonctionner. Ils constatèrent avec soulagement que les deux hommes étaient de retour et qu’ils étaient sains et saufs. Ils ne refirent surface que trente minutes plus tard, prenant bien soin d’effectuer les paliers de décompression nécessaires à la remontée.

- Nous avons câblé le ROV, dit Jehan en présentant le filin à Hans, qui lui tendait la main.

Hans attrapa le câble et le regarda comme s’il ne comprenait pas à quoi il servait.

- Vous êtes descendus là-bas uniquement pour récupérer le ROV, s’étonna Hans.

Cette fois, ce fut Frederick qui lui tendit son sac, que Hans fouilla immédiatement.

- Nous avons réussi à remonter un échantillon de l’objet, dit Frederik, tandis que Hans exhibait fièrement un morceau de la taille d’un poing, qui ressemblait à s’y méprendre à de la roche volcanique.

Chapitre 1

Mer Baltique, 8 juin 2019

L’esprit de David était tourmenté, presque autant que la mer qui se déchainait sous les vents incessants de la tempête qui faisait rage. Debout sur le pont avant du bateau, solidement accroché à la rambarde, il remettait en question les décisions qui l’avaient amené ici, lui et tous ceux qui l’avaient accompagné dans ce pays étranger, dans ces eaux démontées.

- Nous devons rentrer au port, maintenant, ordonna le capitaine, qui venait le rejoindre.

C’était la deuxième fois qu’il lui faisait part de son désir de revenir sur leurs pas. David s’y était énergiquement opposé, jusqu’à le persuader d’attendre encore un peu.

- La radio nous indique que la situation va empirer, ajouta-t-il pour convaincre le jeune homme.

Cette fois, David savait que le danger était trop grand pour poursuivre leur route. Il voyait les vagues qui s’élevaient à quelques mètres de hauteur. Elles n’étaient plus très loin d’eux et s’ils poursuivaient dans la même direction, l’une d’elles finirait par s’abattre sur le bateau, risquant de les envoyer vers le fond.

Cette tempête providentielle avait été annoncée vers le milieu de la journée. David y avait immédiatement vu un signe de bon augure. Les annonces météo la situaient au nord de la Suède, et prévoyaient que les vents forts l’amenaient vers la Finlande. Elle aurait dû passer à proximité de leur destination, juste assez pour paraitre inquiétante, mais sans plus, ce qui aurait ralenti considérablement l’intervention d’un bateau de la marine suédoise. Une telle opportunité ne se produirait peut-être jamais. Par malchance, les vents s’étaient détournés vers l’ouest, plaçant la tempête directement sur leur trajectoire.

- Si vous considérez qu’il serait dangereux de poursuivre, je n’ai pas vraiment le choix, je me plierai à votre décision, dit David, l’air abattu.

- Nous avons déjà trop tardé pour changer de cap. Nous allons essuyer des vents très violents. Vous devriez retourner à l’intérieur et rejoindre vos amis, lui dit le capitaine avant de se diriger vers la cabine de pilotage.

David n’avait écouté que distraitement ces dernières recommandations. Il observait les manœuvres habiles de pilotage qui tentaient de les dévier de la trajectoire de la tempête. Ses bras tentaculaires s’étendaient autour d’eux, assombrissant l’horizon et les éloignant de l’objectif que David avait pourtant senti si près quelques heures plus tôt. Il fixait le noir du ciel, maudissant le sort qui s’acharnait à contrer ses décisions. Il était tellement occupé à se morfondre sur ses malheurs qu’il était sourd à tout ce qui l’entourait; même la douleur de ses doigts gelés par les embruns glacés de l’océan ne parvenait pas jusqu’à son cerveau. C’est la raison pour laquelle il n’entendit pas les appels incessants de son ami, Jacob.

Cette histoire était le résultat d’une soirée de beuverie qui n’aurait jamais dû aller plus loin que le pub où elle avait pris naissance.

* * *

Jacob et lui étaient sortis fêter la fin de leur session universitaire dans un bar populaire du vieux Boston, et ils n’étaient pas les seuls. L’endroit était bondé de jeunes Harvardiens, qui, eux aussi, célébraient en grande pompe l’arrivée tant attendue des vacances d’été. La soirée, déjà avancée, allait bon train, entre les pichets de bière et les verres de whisky que descendaient en rafale les deux amis. Passé une heure du matin, les deux jeunes hommes étaient grisés, tant par l’alcool qui se répandait dans leur sang que par la réussite de leurs examens.

- Finalement, restes-tu à Boston cet été ? demanda Jacob.

- J’ai bien peur de devoir oublier le projet, répondit David. Je n’ai reçu aucun appel et pourtant, j’ai dû envoyer une bonne cinquantaine de curriculum vitae dans tous les genres de journaux et magazines possibles et imaginables au cours des deux derniers mois.

- Tu peux chercher un petit boulot étudiant, il y en a plein d’épinglés sur le tableau des offres d’emplois, suggéra Jacob.

- Si je dois me replier sur cette solution, je ferais mieux de retourner à Montréal. À la maison, je vais économiser sur mes frais de subsistance, dit David en vidant le reste de sa bière.

Ce dernier éclata de rire, l’effet de la boisson amenuisait la déception de son échec.

- Tu te souviens de Greg ? demanda-t-il.

- Euh… Quel Greg ? interrogea Jacob.

- Celui que je t’ai présenté à la soirée organisée par la bande du journal étudiant !

- C’est loin ça !

- Oui, souviens-toi ! C’est un grand blond au teint blafard, précisa David. Il t’a suivi durant presque toute la soirée !

Jacob porta sa paume à son front en levant les yeux au ciel, se rappelant soudain de qui son ami lui parlait.

- C’est bien de l’imbécile qui se vantait d’avoir ses entrées au Boston Globe dont il est question ?

- Oui, c’est justement lui, dit-il, riant de cette définition.

- Et, qu’est-ce qu’il vient faire dans notre conversation ? interrogea Jacob.

Jacob se souvenait parfaitement de cette soirée, qui avait failli tourner au cauchemar pour lui. Il connaissait déjà Greg, qu’il avait rencontré quelques mois plus tôt dans un bar gai de la ville. Ce n’était pas que celui-ci soit son type d’homme, mais un de ses amis avait attiré son attention, assez pour se mêler à leur groupe. Il ne s’était rien passé. Rien qui n’ait dépassé l’étape du flirt innocent, mais Greg, qui connaissait maintenant le côté caché de sa personnalité, l’avait harcelé d’avance tout au long de cette soirée, menaçant de dévoiler à David ce qui était son plus terrible secret.

- C’est lui qui m’avait promis de faire parvenir mon curriculum vitae jusqu’au bureau du rédacteur en chef du Boston Globe, poursuivit David.

- Est-ce que tu as su s’il l’a fait ?

- Je suis convaincu que non. J’ai appris, hier, que c’est lui qui m’a bloqué au journal étudiant. Le salaud !

Jacob fit signe à la serveuse, qui passait devant leur table. Il commanda un pichet de bière et deux whiskys.

- Tu devrais te créer un blogue, suggéra-t-il, quand la serveuse se fut éloignée.

- Pour parler de quoi ?

- Tu peux écrire au sujet de la vie sur le campus !

David serra les lèvres et souleva ses sourcils foncés et bien fournis.

- Il y en a déjà plusieurs qui exploitent ce sujet. Ça me prendrait une idée plus originale que ça, si je veux me démarquer.

Jacob réfléchit aux dernières paroles de son compagnon de beuverie.

- Et si moi, je te proposais de partir à l’aventure et de commenter notre expédition ?

- Pour aller où ? demanda David en vidant d’un trait le verre de whisky que la serveuse venait de déposer sur leur table.

- Le monde s’offre à nous ! Les possibilités sont infinies, continua Jacob en se redressant sur la banquette de cuir brun.

David ébaucha un sourire. Il essayait d’imaginer à quel genre d’aventure faisait allusion Jacob, certain que son ami n’avait pas la même définition que lui de ce mot.

L’été précédant son entrée dans la prestigieuse université américaine, David avait entrepris de traverser le Québec, avec son sac à dos comme seul bagage. Son escapade avait commencé à Montréal, sa ville natale. Il lui avait fallu 60 jours pour atteindre la Gaspésie et se tremper les pieds dans l’océan Atlantique, plus de neuf cents kilomètres plus loin. N’ayant jamais quitté la métropole, cette excursion lui avait fait découvrir les beautés régionales de la province. La nuit, il montait sa tente dans les sous-bois ou dans les champs, caché par les herbes hautes. Il prenait soin de panser ses pieds, malmenés par ses bottines neuves et au matin, il reprenait la route, glanant çà et là des fruits ou des légumes, économisant ses provisions. Dès qu’il s’éloignait des zones plus urbaines, il rencontrait des gens qui l’accueillaient cordialement, comme s’ils le connaissaient depuis longtemps. Dans les localités plus isolées, il avait même effectué des travaux de la ferme, moyennant des petits revenus. Il avait ainsi réussi à financer la totalité de son voyage sans toucher à un centime de ses économies. Le grand gaillard revint à Montréal à la fin du mois d’août, plus riche d’une multitude d’expériences enrichissantes et d’aventures voluptueuses. Il arborait un magnifique teint bronzé, une épaisse barbe brune et une longue tignasse.

Debout devant le miroir de la salle de bain, David regardait son reflet avec dépit. Sa mère s’était occupée de couper tous les poils qu’elle avait trouvé superflus. Il posa ses deux mains devant sa bouche, couvrant ainsi le bas de son visage. Ses cils épais et foncés mettaient ses yeux noirs en valeur et malgré ses cheveux maintenant longs d’à peine deux centimètres, il restait très séduisant. Mais dès qu’il retirait ses mains de son visage, il avait l’air complètement ridicule. La pâleur de ses joues et de son menton contrastait avec le hâle foncé du reste de sa peau. Il regrettait amèrement d’avoir suivi les conseils de sa mère et d’avoir entièrement rasé sa barbe.

- D’ici deux jours, ça ne paraitra plus, lui avait-elle dit pour le consoler.

Mais après deux jours, sa pilosité faciale, encore trop clairsemée pour couvrir sa pâleur, avait provoqué des regards amusés tant dans l’autobus qui l’amenait à Boston que parmi les étudiants de la célèbre université américaine qu’était Harvard.

Ce souvenir le fit sourire.

- Que trouves-tu de comique ? lui demanda Jacob.

- Oh, c’est seulement que je t’imagine mal partir avec un gros sac sur le dos et des bottines de randonneurs, ricana David en pointant les chaussures de grand prix que portait son richissime ami.

- Je le pourrais, s’offusqua celui-ci. Si je le voulais, bien entendu.

Les deux amis éclatèrent de rire de bon cœur. Jacob Dayton était le fils unique d’une des plus vieilles et des plus riches familles de Charleston, en Caroline du Sud. Pour lui, partir à l’aventure ne pouvait se faire que dans les grands hôtels cinq étoiles à travers le monde ou encore sur des bateaux de luxe, à arpenter les plus beaux coins des cinq continents, dans tout le confort que pouvait lui procurer la fortune dont il avait hérité lors de la mort prématurée de ses parents.

Ce qu’il considérait être les plus magnifiques endroits de la planète, il les avait déjà visités, et plus d’une fois, mais toujours seul. Bien entendu, il trouvait une fois sur place des jeunes gens, provenant de différents pays et de différentes couches sociales, prêts à l’accompagner hors des lieux sécuritaires qui bordaient les complexes hôteliers de luxe où il faisait immanquablement escale.

Jacob était le genre de personne qui paraissait être à sa place en tous lieux et qui rendait les autres facilement à l’aise. Il parlait couramment cinq langues, dont le français, l’italien, l’espagnol, l’allemand et l’anglais, qui était sa langue maternelle. Il se débrouillait assez bien en cantonais, mais pas suffisamment pour soutenir une longue conversation. Son apparence et son tempérament jovial jouaient en sa faveur. Jacob n’était pas très grand, il était légèrement sous la moyenne avec son mètre soixante-quinze, mais sa silhouette élancée le faisait toujours paraitre plus grand qu’il ne l’était en réalité. La première chose qu’on remarquait chez lui, c’était ses yeux. Ils étaient d’une couleur ambre que l’on ne parvenait pas à quitter du regard et qui se mariait parfaitement à sa chevelure ondulée d’un châtain roux. Il n’était pas beau, à proprement parler, ce qui ne l’empêchait pas d’être très attirant auprès des jeunes filles qui le rencontraient, et il le savait très bien. Le menton volontaire et le nez long et étroit accentuaient sa posture toujours altière de la personne en parfait contrôle de la situation, quelle qu’elle soit. Et même au cours de cette soirée, après avoir ingurgité assez d’alcool pour faire tituber un homme du double de sa taille, il paraissait beaucoup plus sobre qu’il ne l’était vraiment.

- Raconte-moi, qu’est-ce que c’est ton projet, précisément ? lui demanda David, la bouche un peu pâteuse. Je suis certain que tu as déjà une idée derrière la tête.

Jacob se redressa sur son siège et haussa les épaules avec désinvolture.

- On va où tu veux, dit-il. Je te fais confiance pour nous trouver une destination digne d’intérêt. Tu pourrais pondre ton premier article sur notre voyage ! Je suis certain que ça passionnerait plusieurs internautes et, j’arriverais peut-être même à intéresser un mensuel pour ça.

David ferma les yeux quelques instants. Il arrivait à imaginer une série d’articles, signés David Shaw, qui paraitrait dans un magazine aussi prestigieux que le « National Geographic ».

David était un garçon assez timide et, bien qu’il ait grandi dans les quartiers huppés de l’ouest de l’île de Montréal, il n’était jamais parvenu à revêtir le costume arrogant et hautain de ses camarades de classe. Issu d’une famille modeste, il avait évolué dans un milieu bien au-delà de sa propre classe sociale. Son père, concierge dans un lotissement de copropriétés de luxe, avait négocié, dans son salaire, l’utilisation d’un de ses magnifiques appartements, pour lui et sa famille. L’homme avisé connaissait l’avantage que cet environnement aurait sur l’avenir de ses enfants. Et il ne s’était pas trompé. L’ainée de la famille avait fait ses études en médecine à l’université McGill. Aujourd’hui, elle travaillait à l’hôpital Sainte-Justine tout en poursuivant ses travaux pour l’obtention de son doctorat. Sa sœur cadette était partie toute une année au Honduras, pour faire du travail humanitaire avant de revenir à la maison et de s’inscrire elle aussi à McGill en ingénierie. Et il y avait finalement David, qui avait obtenu une bourse d’études pour la prestigieuse université d’Harvard, aux États-Unis, pour poursuivre les compétitions de natation et étudier en journalisme.

David voyait l’opportunité que lui offrait son ami Jacob et il était bien décidé à ne pas laisser passer cette chance.

Quand David rouvrit les yeux, Jacob vit une étincelle briller dans son regard. Il sut dès cet instant que son ami les entrainerait dans une aventure incroyable.

- As-tu déjà été en Suède ? lui demanda David, mettant l’accent sur chaque syllabe.

- La Suède ! Sérieusement, c’est là que tu voudrais aller !?

David regarda l’expression ahurie de Jacob en prononçant ces dernières paroles. La serveuse s’arrêta à leur table et Jacob commanda deux autres whiskys ainsi qu’un pichet de bière.

- Maintenant, explique-moi ! Pourquoi la Suède ? questionna Jacob, dès que la serveuse se fut éloignée.

- Parce que j’en rêve depuis des années !

- Tu rêves d’aller dans un pays nordique ? Je trouve cela vraiment étrange de la part d’un Canadien.

Jacob s’imaginait déjà, revêtu de son superbe anorak rouge, qu’il avait payé plus de deux mille dollars lors de son dernier voyage de ski dans les Rocheuses canadiennes, à la station balnéaire de Whistler. Bien que de penser à étrenner ce magnifique manteau d’hiver le fit sourire, l’idée de le porter tout l’été lui paraissait beaucoup moins agréable. Son sourire se figea et se changea en une moue dédaigneuse.

David lui fit un doigt d’honneur en esquissant un sourire avant de poursuivre sur l’éclat de rire de son ami.

- Attends, laisse-moi parler, dit David en se penchant vers Jacob.

Son attitude de conspirateur réveilla chez son ami une certaine curiosité. Jacob mit de côté ses appréhensions et se concentra sur le sujet qui l’intéressait.

- Okay, dis-moi donc ! Pourquoi la Suède ? demanda Jacob en avalant une longue rasade du délicieux alcool que la serveuse venait de déposer devant eux.

- Il y a plusieurs années, j’ai vu un reportage sur une étrange découverte, cria David dans l’oreille de son ami, croyant parler tout bas.

Jacob recula en se frottant l’oreille. David se rapprocha de lui et poursuivit sur le même ton juste après avoir vidé d’un trait son verre de whisky.

- Dans les profondeurs de la mer Baltique, près de la Suède, une équipe de chasseurs d’épave a photographié un objet à environ quatre-vingt-dix mètres sous la surface, cria David.

Jacob se recula de nouveau et changea de siège afin de mettre une plus grande distance entre son ami et lui, avant que celui-ci ne le rende sourd.

- Et qu’est-ce que c’était ? demanda-t-il en versant la bière dans leur verre respectif.

- On n’en sait rien, dit David en s’enfonçant dans son siège, reprenant un timbre de voix plus naturel. Certains ont laissé entendre qu’il s’agissait d’un vaisseau spatial. Ils l’ont même comparé au Faucon Millenium, mais finalement, les autorités ont expliqué qu’il s’agissait uniquement d’un ancien système de défense sous-marin datant de la Seconde Guerre mondiale.

David vida son verre de bière et attrapa le pichet pour le remplir de nouveau jusqu’au bord.

- Je ne comprends pas, dit Jacob. Pourquoi dis-tu ne pas savoir ce que c’est ?

- Parce qu’ils cachent quelque chose d’autre, c’est évident !

David vida son verre de bière et le remplit à nouveau, en répandant presque autant du breuvage sur la table, que Jacob s’empressa d’éponger avec la pile de serviettes en papier que leur avait laissée la serveuse.

- Qui donc ?

- Probablement le gouvernement.

- Et que cacherait-il selon toi ?

David avala une longue rasade de bière brune avant de poursuivre, sans tenir compte des gouttes du liquide ambré qui dégoulinait de son verre jusque sur la jambe de son jeans. Jacob leva un bras pour faire signe à la serveuse de leur rapporter la même chose.

- C’est certain que, comme n’importe qui, j’aimerais qu’il s’agisse d’un OVNI, mais en réalité ça pourrait être n’importe quoi, dit-il. Mais comme je n’ai plus jamais trouvé aucune autre information sur le sujet, je crois plutôt que les autorités ont voulu garder ça secret.

Jacob réfléchit en sirotant sa bière.

- Peut-être que personne n’en a reparlé uniquement parce qu’il n’y avait plus rien d’intéressant à dire sur le sujet, supposa-t-il.

- Attends ! L’équipe qui a découvert l’objet a voulu retourner sur les lieux l’année suivante.

Jacob attendait la suite, mais l’attention de David s’était détournée pour regarder une jolie blonde aux grands yeux aguicheurs, qui passait près d’eux.

- Continue ! le pressa Jacob, qui commençait à être très intéressé.

David se retourna vers son ami, le regard vide.

- Hein !? Quoi ? demanda-t-il en vidant le reste de sa bière.

- Tu dis qu’ils sont retournés à l’endroit où se trouvait l’objet, et…

- Ah, oui ! Et bien, la marine suédoise les a interceptés et les a forcés à quitter l’endroit, dit David, juste avant d’attraper le pichet que venait de déposer la serveuse.

Jacob fut assez rapide pour reprendre le pichet des mains de son ami et remplir leurs verres. Ce dernier était parvenu à réveiller l’imagination très fertile de Jacob qui voulait en savoir plus. Il poussa son propre verre de whisky devant David et l’encouragea à poursuivre.

- Où as-tu trouvé toutes ces informations ? lui demanda-t-il.

David, que l’alcool avait rendu plus aventureux et dont l’attention ne s’était toujours pas détournée de la jolie blonde, qui lui retournait aussi des œillades à peine voilées, n’écoutait plus son ami. Son intérêt était entièrement tourné vers un nouveau sujet plus festif.

- Tu crois qu’on devrait inviter ces filles à se joindre à nous ? demanda-t-il en hoquetant.

- Tu as déjà une copine, lui rappela son ami.

- Alors, profites-en ! Elles seront pour toi !

Jacob ne parvint pas à obtenir de nouvelles informations sur son étrange histoire de la mer Baltique. Son ami s’était déjà levé de table et avait rejoint, en titubant légèrement, celle de la jolie blonde qui discutait avec trois autres filles, toutes aussi séduisantes les unes que les autres.

- Excusez-moi, mesdemoiselles, dit David galamment. Auriez-vous l’obligeance de recueillir parmi vous deux pauvres étudiants désœuvrés ?

La jolie blonde lui sourit. Elle aussi avait remarqué le beau grand jeune homme brun, qui dépassait facilement d’une tête les autres personnes présentes dans le bar. David, que l’alcool rendait beaucoup plus téméraire avec la gent féminine, prit son sourire pour un oui et s’approcha une chaise. Une fois assis, il fit signe à Jacob de les rejoindre, sans quitter la jolie blonde des yeux…

Sur le bateau, David, de plus en plus secoué par les vagues, était tellement concentré sur le souvenir de cette soirée qu’il n’entendit pas immédiatement le hurlement de son ami.

Chapitre 2

17 mai 2019, Université d’Harvard

David se réveilla avec un affreux mal de tête. Tout ce qu’il parvenait à se rappeler de la beuverie de la veille, c’était la bière et le whisky. Il avait la bouche pâteuse et une sérieuse envie de vomir. Il ouvrit les yeux et repoussa violemment les couvertures.

- Hey ! râla faiblement une voix féminine à côté de lui.

- Désolé, Anna, dit-il avant de se précipiter sur la poubelle au pied du lit.

- Qui est Anna ? s’offusqua la jeune femme qui, elle aussi, repoussa les couvertures sans délicatesse.

David releva la tête du contenant de plastique, duquel émanait une forte et désagréable odeur de vomissure. Il découvrit une magnifique jeune femme blonde au corps de déesse, qui se tenait debout à côté de son lit. Elle était entièrement nue et ne semblait aucunement intimidée par cette nudité. Elle avait posé la main droite sur sa hanche et attendait une réponse de la part de David.

- Euh !... Ma petite amie… est-ce que nous ?... bredouilla-t-il.

- T’es un sale connard, cria la jeune femme, en ramassant ses vêtements éparpillés sur le sol.

- Oui, je sais, répondit David sur un ton d’excuse. Mais, est-ce qu’on…

La blonde ramassa une espadrille qui trainait par terre et la lança brusquement en plein visage de David qui, pour se protéger, laissa tomber la poubelle dont le contenu nauséabond commença à s’écouler sur le plancher.

- Tu n’as même pas été capable de bander, espèce d’enfoiré, rugit-elle en passant la porte, ses vêtements dans les bras.

David fut soulagé en entendant qu’il ne s’était rien passé avec elle, et bien qu’Anna ne lui pardonnerait quand même pas cette petite incartade, il pourrait la regarder dans les yeux sans trop culpabiliser. Des sifflements d’admiration resonnèrent du couloir jusque dans sa chambre et il sourit en imaginant la réaction des autres étudiants devant les attributs mis à nu de cette superbe beauté.

Des brides de la soirée de la veille lui revinrent en mémoire, dont sa rencontre avec la jeune femme qui l’avait immédiatement attiré, mais il ne gardait aucun souvenir de l’avoir ramené chez lui. Son sourire mourut avec le goût de vomissure qui lui remontait le long de la gorge jusque dans la bouche.

David passa le reste de sa journée entre les toilettes de l’étage et son lit. Chaque nausée s’accompagnait de la promesse de ne plus jamais toucher un verre d’alcool. Alors qu’il se jetait mollement sur son lit, il entendit la sonnerie de son téléphone retentir pour la troisième fois. Il étira le bras et regarda l’écran sur lequel s’affichait maman, accompagné du numéro de la maison. Il hésita un moment avant de se décider à répondre.

- Bonjour, maman ! dit-il sur un ton qu’il espérait enjoué.

- Est-ce que je te réveille, mon grand ?

- Bien sûr que non, maman !

Il regarda rapidement l’heure qui s’affichait sur son téléphone avant de poursuivre.

- Il est deux heures de l’après-midi ! Il y a longtemps que je suis levé !

- Excuse-moi, mon grand ! J’ai seulement cru que tu aurais peut-être fêté la fin de session avec tes amis, dit-elle.

Manifestement, sa mère le connaissait trop bien. Il afficha un grand sourire sur son visage, espérant ainsi dissimuler son état.

- Est-ce que tout va bien à la maison ? lui demanda-t-il.

- Oui, oui, très bien !

Il sentait que sa mère avait quelque chose à dire et il se demandait pourquoi elle tournait autour du pot.

- Tu m’inquiètes, dit-il. Papa va bien ?

- Justement, je parlais à ton père, il y a un moment et il m’a appris que tu ne viendras pas à Montréal pour les vacances d’été ?

C’était donc ça, la raison de son appel et David leva les yeux au ciel. Il savait que sa mère se faisait une joie de le retrouver pour toute la durée des vacances, mais il avait malgré tout espéré trouver un travail d’été à Boston. Il gardait encore un mince espoir d’obtenir au moins une entrevue. La seule personne à qui il s’était ouvert sur le sujet était son père, lui faisant promettre de ne pas en souffler un mot à sa mère, pas avant d’être certain d’avoir trouvé quelque chose.

- Je suis désolé, maman ! Je crois que papa a mal compris…

- Alors, tu rentres bientôt ?

David détestait cette situation. Il ne voulait pas décevoir sa mère et c’était la raison pour laquelle il ne lui en avait pas encore soufflé un mot.

- Pas tout de suite, lui dit-il. J’attends encore des réponses et…

- Je comprends, dit-elle sans enthousiasme. C’est seulement que…

- Vous pourriez venir me voir, toi et papa ! proposa-t-il.

Il savait qu’elle ne lâcherait pas le morceau avant d’avoir obtenu ce qu’elle voulait. Il adorait sa mère, mais elle avait la malheureuse habitude de s’arroger le droit de contrôler sa vie. La connaissant, elle lui aurait probablement trouvé un emploi dans un petit commerce près de la maison pour s’assurer de son retour.

- Oh ! Tu sais que ton père n’aime pas conduire sur des distances aussi longues !

- Ce n’est pas si loin, et vous pourriez prendre l’autobus, ou même encore le train !

- Nous verrons, dit-elle. En attendant, que veux-tu que je dise à M. Langevin, l’épicier du coin ? Il m’a personnellement demandé quand tu rentrerais !

Il doutait fort que le propriétaire du IGA près de chez lui se soit informé à son sujet. Celui-ci ne le connaissait même pas.

- Ne lui dis rien, s’il te plait, maman ! Je m’en occuperai. Là, je dois raccrocher, j’ai ma copine qui vient d’arriver.

- C’est toujours la jeune fille dont tu m’as parlé ? Anna, si je me souviens ? Elle va bien ?

S’il ne l’arrêtait pas tout de suite, il en aurait pour une heure au téléphone.

- Elle te fait dire bonjour ! Salue papa pour moi, s’il te plait ! Je t’aime, maman ! Bye !

Et il coupa la communication avant que sa mère ne parvienne à reprendre le contrôle de la conversation et mit son appareil sur le mode silencieux. Il avait besoin de dormir et pour cela, il avait besoin de silence.

À neuf heures du soir, Jacob apparut dans l’embrasure de sa porte, une caisse de bière à la main.

- La fille est déjà partie ? lui demanda son ami.

- Quelle fille ?

- Oh ! Je pensais bien qu’elle passerait la nuit avec toi !

David regardait Jacob avec étonnement.

- C’est toi qui nous a ramené ?

- T’étais pratiquement inconscient ! C’est elle qui a insisté pouraider à te monter dans ta chambre. Elle n’a pas voulu redescendre avec moi.

David fut soulagé en réalisant qu’il n’avait rien à voir avec la présence de la demoiselle dans son lit. Allez, bouge-toi, maintenant ! lança Jacob en souriant. Il y a une fête ce soir chez des copains.

David le regarda d’un air las. Il avait les yeux encore rouges de fatigue et un mal de tête qui persistait depuis le début de la journée. Ses beaux cheveux bruns, qui étaient habituellement souples et soyeux, lui collaient au visage et portaient les traces de son piteux état.

- Ce soir, ce sera sans moi, lui dit David d’une voix faible.

- Tu n’as vraiment pas l’air dans ton assiette, mon ami, dit Jacob en s’asseyant sur le bord du lit. Je ne peux pas te laisser seul dans ton état.

Jacob sortit une bouteille de bière brune de la caisse et en dévissa le bouchon. La forte odeur du houblon remplit les narines de David, le forçant à se précipiter à la salle de bain et à enfouir sa tête dans la cuvette pour y déverser une nouvelle coulée de bile chaude qui lui brûlait la gorge et oppressait sa poitrine. Tout son corps était trempé de sueur et il se mit à frissonner dès qu’il entra dans sa chambre où l’air frais du début de soirée pénétrait par la fenêtre qu’avait ouverte Jacob. David se jeta sous les couvertures en grelottant.

- Ferme cette fenêtre, s’il te plait, demanda-t-il à son ami.

- Il y a une odeur de fauve ici, dit Jacob. Tu ne peux certainement pas rester enfermé dans cet environnement nauséabond.

David ferma les yeux et lui tourna le dos, couché en position fœtale au fond des draps.

- S’il te plait, laisse-moi dormir ! Reviens dans quelques jours, supplia-t-il.

Jacob semblait avoir compris le message, car David sentit son matelas reprendre sa forme originale. Il n’eut quand même pas le temps de s’endormir que quelqu’un s’assît de nouveau sur son lit.

- Tiens, bois ça ! Bois-le en entier, c’est contre la gueule de bois, lui dit Jacob en lui tendant un grand verre rempli de jus de tomate et de mousse d’une drôle de couleur.

- Décidément, tu n’as pas l’intention de me laisser dormir, dit David en s’asseyant sur son lit.

- Non, tu as raison. Bois maintenant, insista Jacob.

David obéit et ingurgita en grimaçant la totalité de la mixture de Jacob. Il ne lui fallut que quelques secondes pour rendre tout ce qu’il avait bu, mais étrangement, il se sentit un peu mieux après ça.

- Merci, dit-il à Jacob. Je me sens moins nauséeux.

- Alors, passons aux choses sérieuses, commença Jacob.

- Je n’irai pas plus à cette soirée, lui dit David en se blottissant sous les couvertures.

- Oublie cette fête, on a d’autres chats à fouetter.

David regarda Jacob avec curiosité. Jacob était le genre de gars qui allait de fête en fête. Le garçon était brillant et il réussissait ses cours sans y mettre trop d’effort, car il passait plus de temps en boite qu’en soirée d’étude. C’était justement ainsi qu’ils avaient fait connaissance, au début de la première année de David à Harvard. Pourtant, rien dans leur vie ne présageait le rapprochement de ces deux jeunes hommes venus de classes diamétralement opposées.

Dès ses vingt ans, Jacob Dayton avait hérité d’un empire financier plus que respectable. L’unique condition à la succession était de faire des études en finance dans une prestigieuse université américaine. Ce qui l’avait amené à Harvard, la même université qu’avaient fréquentée ses parents plus de vingt ans plus tôt.

Cela n’avait pas été son choix et il avait l’impression d’avoir été manipulé par les fantômes de sa mère et de son père, qui avaient toujours rêvé que leur fils unique suive leur trace. Alors, il donnait le change en passant le plus de temps possible dans les fêtes de tout genre. Enfin, jusqu’à ce qu’il fasse la connaissance de David.

David Shaw était un Montréalais issu d’une famille aux revenus modestes. Il avait néanmoins grandi entouré de jeunes gens provenant d’un milieu aisé. Incapable de se faire des amis parmi eux, à cause de leur différence de statut, David s’était concentré sur ses études et dans le sport, à tel point qu’il était parvenu à obtenir une bourse dans la prestigieuse université de Boston, Harvard. Quand il avait croisé Jacob pour la première fois, il l’avait tout de suite détesté, reconnaissant en lui le sosie de ses anciens camarades de classe.

- Quel chat veux-tu fouetter ? lui demanda David.

- Tu te rappelles ce dont on a parlé hier soir ?

David fit un signe de négation de la tête.

- Bien sûr que oui, souviens-toi ! Ton rêve d’aller en Suède…

Il n’avait aucun souvenir de cette conversation, mais la Suède… il savait exactement ce dont il était question. À la maison, on s’était souvent moqué de son obsession pour ce genre de sujet. Sa mère lui répétait régulièrement :

- Tu regardes trop de films, mon fils. Tu as l’air ridicule quand tu discutes de ça.

Il avait fini par complètement arrêter d’en parler. Il devait être vraiment saoul la veille pour avoir abordé le sujet avec son ami.

- J’ai passé la journée à faire des recherches sur le Net, et je suis d’accord avec toi. Il y a quelque chose de vraiment étrange dans cette histoire, dit Jacob.

David eut un sursaut d’étonnement. Il s’attendait à des moqueries de la part de son ami, mais au lieu de cela, il semblait vraiment captivé par le sujet.

- Je suis surpris que cela t’intéresse, dit David.

- Écoute, c’est tellement évident que le gouvernement cherche à dissimuler certains secrets ! Ici même, aux États-Unis, il y a eu Roswell, la zone 51, et ce sont les seuls qui me viennent à l’esprit vite comme ça. Si les États-Unis nous cachent des informations, les autres pays en font assurément de même.

- Tu crois aux OVNIS ? Vraiment ?

- L’univers est immense, dit Jacob. Il faut être extrêmement imbu de notre propre existence pour croire que nous sommes la seule planète habitée par une race capable de raisonner.

La discussion entre les deux hommes s’étira sur une grande partie de la nuit. Jacob s'était complètement désintéressé de la fête où il voulait se rendre et David, de son côté, avait oublié sa gueule de bois. Ils s’installèrent devant l’ordinateur et firent des recherches complémentaires sur ce que le Net appelait « L’anomalie de la mer Baltique ».

- Si nous voulons en savoir plus, nous devons nous rendre sur place, dit Jacob.

- Tu es sérieux ?

- Imagine ça ! Nous pourrions revenir avec des images extraordinaires et surtout, avec la preuve indéniable que nous sommes visités par des extraterrestres !

David pouvait très bien imaginer, mais il savait aussi garder les pieds sur terre. Un voyage en Suède et tous les frais afférents n’étaient pas à la portée de son porte-monnaie. De plus, il devait trouver un travail pour l’été. Sa bourse lui permettait de payer ses études, mais il avait besoin d’un supplément pour tous les à-côtés.

- Ça n’a absolument aucun sens ! s’exclama David.

- Mais, pourquoi pas ?

- Parce que j’ai des obligations auxquelles je dois faire face, souligna-t-il.

- La solution est simple, dit Jacob. Si tu viens vivre chez moi, tu épargneras le montant de ton loyer et le frigo est toujours plein à la maison, enfin, je crois qu’il l’est.

- Je ne peux pas aller habiter chez toi ! s’indigna David.

- Mon appartement est assez grand pour qu’on puisse y tenir une dizaine sans se marcher sur les pieds ! Tu me rendrais service, d’une certaine manière, c’est plutôt ennuyant de vivre seul. Et pour les frais d’expédition, vois ça comme un investissement de ma part. Moi, je réalise très bien les retombées économiques d’une telle découverte.

- Et si nous ne trouvons rien ?

- Eh bien, ça entrera dans la colonne des pertes. On ne fait pas d’argent dans la vie sans prendre un minimum de risques.

Chapitre 3

Le campus universitaire, qui s’étend sur deux hectares, offre des joyaux d’architecture aujourd’hui classés comme patrimoine historique. Mais ce qui est le plus répandu dans ce lieu estudiantin de prestige, c’est le rouge cramoisi des briques, que l’on trouve autant sur la façade des immeubles que sur les sentiers qui en sont pavés. Le crissement des semelles de David dans le silence de l’aube naissante lui donne une sensation apaisante. Après une courte nuit agitée, c’est exactement ce dont il avait besoin. Il avait passé son temps à se retourner dans son lit, son esprit envahi par des images de voyages et d’aventures lui ayant laissé une désagréable impression. Il avait le sentiment d’avoir oublié une information importante, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce que c’était. Il savait que c’était essentiel et cette idée le tracassait. C’est pour cette raison qu’il se retrouvait aussi tôt à parcourir le sentier pavé de briques rouges dans Havard Yard.

Il traversait le parc d’un pas cadencé. Sur sa droite se trouvait la statue de John Harvard, considéré faussement comme le premier fondateur de l’université. En réalité, John Harvard était un jeune pasteur, décédé de tuberculose à l’âge de trente ans et qui avait légué la moitié de sa fortune ainsi que l’intégralité de sa bibliothèque à cette nouvelle université. Il fut donc le premier donateur historique de l’institution. Le regard de David fut attiré par le soulier doré de la statue de bronze, lui rappelant sa première visite des lieux, moins d’un an auparavant.

Il sourit au souvenir de son arrivée, l’année précédente, devant la station d’Harvard Square. Il avait été saisi par le décor très Nouvelle-Angleterre. Avant même de faire sa demande pour cette prestigieuse université américaine, David avait pris soin d’étudier tous les avantages que celle-ci lui apporterait pour son avenir. Il avait souri en découvrant le traditionnel rituel qu’effectuaient les nouveaux étudiants, de même que les touristes, qui consistait à toucher le soulier gauche de la statue en signe de porte-bonheur. Bien qu’il ait trouvé cette tradition ridicule et irrationnelle, il s’était néanmoins joint au plus grand nombre en se pliant à ce rituel ancestral.

David ne croyait pas à la chance. Il pensait plutôt que les choses positives qui arrivaient dans la vie étaient dues à une série de décisions pesées et réfléchies. Ce n’était nullement le hasard ou la chance qui l’avaient conduit jusqu’ici, un an auparavant.

Lorsqu’il avait fait part à sa famille de son intention d’aller étudier aux États-Unis, personne n’avait compris la raison de cette idée qu’ils avaient trouvée saugrenue. Mais dès qu’il eut prononcé le nom de la plus prestigieuse et la plus ancienne université américaine, son père avait applaudi à cette idée ambitieuse que ses sœurs, de leur côté, avaient trouvé démesurée. Sa mère n’était pas réellement ravie à l’idée de voir son fils partir aussi loin du cocon familial et avait immédiatement joué l’avocat du diable en mettant de l’avant les problèmes financiers que représentait un tel projet. Mais David avait fait ses devoirs.

- Ne t’inquiète pas pour l’argent, lui avait-il dit. Ils offrent des bourses très avantageuses pour les familles à faibles revenus. Cela couvre presque la totalité des frais de scolarité.

- Mais tu dois te loger et te nourrir, riposta-t-elle. En étudiant à Montréal, tu peux revenir à la maison tous les soirs.

- Arrête de t’inquiéter, maman, avait dit l’ainée des deux filles. Le processus d’admission est très sélectif et il parait que moins de cinquante pour cent des demandes sont acceptées.

David se racla la gorge, pour indiquer à sa sœur qu’il était toujours présent dans la pièce.

- C’est encore pire que ça, lui dit-il. C’est environ cinq pour cent qui y sont admis et j’ai déjà reçu ma lettre d’admission.

David exhiba fièrement une feuille de papier à l’entête de l’université de Harvard.

- C’est une farce ! s’exclama sa sœur ainée.

- Il est quand même premier de classe depuis le primaire, intervint la plus jeune des deux.

- Et j’ai obtenu une note de 1575 au SAT et 36 à l’ACT , ajouta David.

- Félicitations, mon garçon, dit son père avec fierté. Tu iras loin dans la vie.

Sa mère, bien que mécontente de cette nouvelle, se tut devant l’enthousiasme de son époux. Elle aussi voulait ce qu’il y avait de mieux pour son fils, mais elle n’était pas prête à voir son bébé partir loin d’elle.

Il courait maintenant sur la rue John F. Kennedy en direction de la Charles River. À l’intersection de Memorial Drive, il se souvint de ce qui l’avait tracassé à son réveil. Il accéléra le pas en direction de l’appartement de Jacob.

- Nous n’avons aucune idée de l’endroit précis où se trouve l’objet, dit-il à Jacob en passant précipitamment la porte que tenait ouverte son ami.

Jacob était encore engourdi par le sommeil. En entrant dans la cuisine pour préparer un silex de café, il vit qu’il n’était que six heures du matin.

- Six heures ! Tu es sérieux, là ? dit-il à David.

- L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, affirma David en attrapant deux tasses dans l’armoire.

Jacob sortit de la cuisine d’un pas trainant.

- Je vais prendre une douche pour essayer de me réveiller, dit-il.

Il disparut derrière la porte de sa chambre, laissant David seul devant la machine à café. Décidé à leur préparer un solide petit-déjeuner, David ouvrit le réfrigérateur. La déception se lut sur son visage en ne voyant qu’un carton de crème à café sur une étagère de ce superbe appareil aux dimensions disproportionnées. Sa mère, qui cuisinait beaucoup, aurait rêvé d’un tel réfrigérateur, mais c’était certainement au-dessus du budget familial.

- Jacob, ton frigo est vide ! lui cria David de la cuisine.

- Oui, je sais ! lui répondit Jacob en passant la tête par l’embrasure de la porte. Je ne mange jamais ici ! Je déteste manger seul !

Et il disparut de nouveau, laissant David pantois devant ce que sa mère aurait dénoncé comme étant un sacrilège. Il tenta sa chance en ouvrant la porte à glissière du garde-manger. C’était époustouflant. Il pénétra dans une petite pièce de deux mètres sur trois où étaient alignées des étagères remplies à craquer de boites de conserves et de cartons, principalement des céréales, ainsi qu’un large éventail d’huiles et de vinaigres.

- Qu’est-ce que tu fais de tout ceci ? demanda David en voyant Jacob apparaitre, vêtu d’un jeans et d’un polo d’un marron qui faisait ressortir ses yeux.

- C’est la femme de ménage qui s’en est occupé, quand j’ai emménagé ici, dit Jacob en haussant les épaules. Je ne sais même pas ce qu’il y a là-dedans.

- Elle aurait pu remplir ton frigo, tu ne crois pas ?

- Elle le faisait au début, mais je crains qu’elle s’en soit lassée, dit-il.

David attrapa les clés de Jacob et se dirigea vers la porte.

- Je t’emprunte ta voiture, dit-il.

- Où est-ce que tu vas ?

- Chercher de quoi nous concocter un bon petit-déjeuner.

Jacob l’arrêta et lui prit les clés des mains.

- Pas la peine, dit-il. Je vais appeler le traiteur qui s’occupe de mes repas.

- Je croyais que tu ne mangeais jamais à la maison.

- Bah ! Quand ça m’arrive, j’ai besoin que quelqu’un s’en occupe, c’est plus pratique comme ça.

* * *

Le traiteur, un homme d’une quarantaine d’années au visage souriant, arriva les bras chargés de sacs remplis de denrées de tout genre. Alors qu’il mettait au four une alléchante omelette aux épinards et au fromage de chèvre ainsi qu’une dizaine de tranches de bacon, David l’aidait à vider ses provisions. Il y découvrit pas moins d’une douzaine de fromages différents d’où émanait parfois une odeur douteuse. Dans un large plateau étaient compartimentés des fruits frais et juteux, dont des framboises à la couleur attirante, alors qu’un second plat était chargé de crudités fraiches et croquantes. David avait l’eau à la bouche devant tout cet assortiment qui paraissait extrêmement délicieux.

- Jeune homme, lui dit le traiteur. Pourriez-vous prendre les viennoiseries et les mettre au centre de la table, s’il vous plait ?

David s’exécuta. Il n’avait pas remarqué ce dernier sac et il fut ravi d’y trouver des croissants encore chauds, des chocolatines et une petite variété de pâtisseries appétissantes.

- Ce n’est pas un peu trop pour nous deux ? demanda David en s’adressant à Jacob.

- J’aime l’opulence, lui répondit Jacob.

Quand le traiteur servit les assiettes sur la table, tout son barda avait disparu des comptoirs.

- Merci, Jérôme ! dit Jacob en lui glissant trois billets de cent dollars dans la main.

- Vous savez, je suis toujours ravi de travailler pour vous, lui dit-il en fourrant l’argent dans la poche de son pantalon.

- Merci, Jérôme. Tout est magnifique ! dit David en dégustant le fastueux petit-déjeuner des yeux.

Le traiteur rougit de plaisir devant le compliment. Il était fier du service qu’il offrait à ces jeunes riches qui ne savaient même pas comment faire bouillir de l’eau.

- N’oubliez pas ! J’ai laissé du café dans le silex, dit-il juste avant de sortir. Je le ramasserai la prochaine fois.

Assis devant leur solide petit-déjeuner, Jacob et David engloutissaient distraitement leur omelette. Toute leur attention était maintenant tournée vers le grand écran qui occupait presque la totalité du mur du salon. Ils y regardaient l’entrevue de l’équipage de l’Ocean-Team, cherchant à y découvrir des informations utiles pour leur enquête.

Jacob laissa tomber la tranche de bacon croustillante dans son assiette et prit la télécommande pour mettre l’image sur pause.

- C’est incroyable ! s’exclama-t-il. Est-ce que tu le savais ?

- Tu parles de l’échantillon de l’épave qu’ils ont récupéré ? demanda David, surpris.

- Ça, je l’avais déjà entendu la dernière fois, mais je n’avais aucune idée que celui-ci contenait un alliage de métal ! Tu avais raison ! On a réellement affaire à un vaisseau extraterrestre ! s’enthousiasma-t-il.

- Attends ! Ce sont tous des métaux que nous pouvons trouver sur Terre, dit David avec pragmatisme. Ça ne prouve absolument rien !

Jacob se contenta de hausser les épaules et remit l’entrevue en marche.